PCP, l'équipe
Tâcheron du syndicalisme policier, j’ai été tellement soumis à la question de mes collègues "À quoi ça sert, à quoi on sert ?" qu’il fallait bien que je propose des réponses.
Car, même si cette question a été bien souvent l’objet de discussions philosophiques ou sociologiques sur notre métier, elle se pose aussi de façon pratique.
Au quotidien.
Je parle ici de la manie des réformes dans notre institution.
Elles sont tantôt axées sur le préventif, tantôt sur le répressif, mais aussi sur le collaboratif, ou alors sur l’hégémonique. Elles suivent les variations politiques, les idées dans l'air du temps… Elles impactent du mode de recrutement (et de son nombre) à la formation, en passant bien sur par la vie quotidienne des fonctionnaires et militaires.
Je parle aussi de l’inflation législative.
Elle est bien souvent gérée sous l’impulsion du phénomène "un fait divers, une loi (de circonstance !)" et liée à la couleur du gouvernement. Elle aussi impacte le quotidien de nos collègues.
Et ces deux choses se font sans procéder à un minimum d’évaluation de la réforme précédente, sans prendre appui sur les expériences étrangères, ni écouter ce que disent justement philosophes, sociologues, psychologues…
La question des drogues est à la croisée du policier et du juridique. Et donc bien évidemment, elle est à la botte du politique.
Et si le policier/gendarme sait bien qu'à la question "À quoi sert la politique des drogues actuelle ?", il va répondre "À rien !". Il sait aussi qu’il ne sera pas entendu.
Sauf si les syndicats s’emparent de la question.
... sauf si un collectif comme PCP lui donne la parole.
Et que, relayant expériences étrangères et études scientifiques, ils argumentent avec le recul et la raison nécessaires.
Thierry Tintoni est capitaine de police retraité depuis 2017. Fondateur du syndicat Sud-Intérieur, il a exercé en commissariat de quartier à Paris, en police judiciaire, aux RG et à l'ordre public à Paris. Son activité syndicale l'a amené à critiquer la politique du chiffre, s'appuyant notamment sur la répression de l'usage de drogues. A été membre de la commission Justice des Verts.
Je suis entrée dans la police durant les "années-héroïne". Je travaillais en banlieue, j’étais gardien de la paix dans un service anti-criminalité. Pour moi, l’image de la prohibition est celle, récurrente, du corps d’un toxicomane mort d’overdose dans un local à poubelles ou sur un palier crasseux, à quelques mètres du lieu d’achat de sa came. Retourner chez lui présentait le danger d’être interpelé en chemin, mis en garde à vue, mais surtout, de se voir confisquer sa dose. Qu’il s’agisse d’un héroïnomane ou d’un fumeur de shit, je me suis toujours dit qu’ils n’avaient rien à faire devant un OPJ ou un juge, et qu’au pire leur cas était du ressort de la santé.
La politique des drogues est un sujet passionnant, et bien plus encore avec l’éclairage concret de son propre métier. Réfléchir aux drogues, c’est jongler avec le droit et son évolution, la santé, la biochimie et ce que la science peut nous apprendre, les libertés publiques, les libertés individuelles et la question de disposer de son propre corps, la souffrance, le plaisir. Quand on est flic, c’est aussi penser avec le prisme du service public. Parler de drogues, c’est surtout parler d’humains… l’humain, la matière première de nos métiers.
Sanctionner l’usage de drogues m’a toujours semblé un non-sens, et force est de constater que ça ne sert à rien. Je ne le faisais pas, préférant garder mon énergie pour une délinquance autrement plus excitante. Hermétique aux dictats de la politique du chiffre, je n’étais pas seule à raisonner ainsi, heureusement.
Le législateur commençant à s’agiter sur la question d’un durcissement de la répression, et trouvant, dès qu’il s’agit de punir, une écoute favorable auprès de l’opinion publique déjà passablement intoxiquée de présupposés au sujet de la politique des drogues, j’ai eu envie d’écrire à ce propos. Avec comme arrière-pensée, celle de convaincre mes anciens collègues de l’ineptie de la répression des usagers de drogues. Je crois au bon sens, à la bienveillance, au libre-arbitre, et à la distance qu’on peut prendre par rapport à l’application de certaines lois.
J’ai commencé par plaider pour la dépénalisation, puis contre l’amende forfaitaire, avant de m’adresser directement aux parlementaires. C’est ainsi, d’abord par internet, que j’ai pu faire connaissance de mes deux complices, chacun suivant en solo un chemin identique.
La galaxie anti-prohibitionniste française était faite d’usagers de drogues, de militants cannactivistes, de médecins et tous ceux dont le travail vise les addictions, de juristes, magistrats, universitaires… pas de flics ni de gendarmes pour boucler la boucle. Voilà comment le PCP est né.
Bénédicte Desforges est ex lieutenant de police. Elle a exercé dans un service d’anti criminalité en banlieue en tant que gardien de la Paix, puis à Paris 18è arrdt. Démission en 2011. Auteur de deux livres d’histoires de flics, d'un blog et d'articles argumentant en faveur de la décriminalisation de l'usage de drogues. Adresse une lettre ouverte aux parlementaires en juin 2018 à l'occasion du projet de loi instaurant une amende délictuelle pour usage de stupéfiants.